Alain Juppé est à l’heure et il a faim. Belle entrée de légumes, solide escalope de veau braisée, ananas flambé accompagné d’une glace exquise à la vanille, le tout accompagné d’un verre de bordeaux de rigueur. Le ministre d’État a bon appétit. À 66 ans, le chiraquien porte beau et peut se targuer d’être devenu, contre toute attente, le ministre le plus populaire du gouvernement. Qui aurait parié sur pareille résurrection? Un an, presque jour pour jour, après son retour au gouvernement, le nouvel homme fort de la droite sarkozyste n’en finit pas de répéter qu’il est "heureux". "Non, c’est vrai, je ne vous raconte pas d’histoires, je suis bien ici. Je me réjouis d’avoir pris cette décision, mon job est excitant", confie-t-il au JDD. Ses doutes sur sa capacité de travailler en bonne entente avec Nicolas Sarkozy ont été levés. "Au départ, j’avais choisi le ministère de la Défense car j’y serais moins exposé aux initiatives élyséennes. En fait, au bout de deux mois, avec l’échec du sauvetage de nos deux compatriotes tués au Niger, j’ai été plongé dans le bain élyséen", raconte-t-il.
Depuis, le numéro 2 du gouvernement n’a plus quitté ce "bain élyséen". Appelé à la rescousse pour reprendre en main le Quai d’Orsay après les errements de Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé s’est retrouvé en première ligne. Au point d’enchaîner les succès (Côte d’Ivoire, Libye) et de devenir la nouvelle coqueluche de Nicolas Sarkozy. Oubliée, l’époque où le maire de Bordeaux hésitait à "monter sur le Titanic" gouvernemental. Alain Juppé connaît Nicolas Sarkozy depuis 1976. "Nos relations ont alterné le bon et le mauvais. Cela a parfois été électrique. Aujourd’hui, on a ouvert une nouvelle séquence", constate le ministre d’État. Sans en rajouter.
Il faut dire que le président de la République est aux petits soins avec "Alain". Pas un Conseil des ministres sans de longs apartés entre le chef de l’État et Juppé, assis à sa droite. Pas une réunion stratégique sans que Sarkozy ne consulte "Alain". Y compris sur des sujets qui ne relèvent pas directement de sa compétence.
"Moi, je n’ai pas de problème de carrière personnelle"
Récemment encore, Nicolas Sarkozy n’a pas hésité à bousculer le protocole du G20 pour imposer la présence de son ministre des Affaires étrangères (en principe, seuls les ministres de l’Économie sont autorisés) à toutes les discussions avec les autres chefs d’État et de gouvernement. "J’étais le seul non-chef d’État au dîner, le jeudi soir, à Cannes", confirme avec un brin de fierté Alain Juppé. Quand il aime, il est vrai, que Nicolas Sarkozy ne fait pas dans la demi-mesure. Juppé nouvelle coqueluche de la droite sarkozyste? Voilà qui désespère les derniers chiraquiens. "C’est pathétique", glisse, fataliste, Jean-Louis Debré. Inversement, le conseiller Patrick Buisson le juge "inéligible".
Redevenu incontournable dans la majorité, Juppé est très courtisé par ses collègues du gouvernement, qui veulent tous animer des réunions à Bordeaux. "Je ne gêne pas tous ces jeunes gens, les Copé, Baroin, Le Maire, Nathalie [Kosciusko-Morizet], Valérie [Pécresse]. Ils m’aiment bien parce que je ne suis pas un rival", s’amuse-t-il. "Moi, je n’ai pas de problème de carrière personnelle. Je ne pense pas à 2017. Tous ces jeunes gens feraient mieux de faire en sorte que 2012 se passe bien avant de penser à 2017. Si on perd l’an prochain, ce sera difficile en 2017. En ce moment, on se chapouille! C’est ce qui m’inquiète."
"Villepin veut le monde"
Convaincu à "100 %" que Nicolas Sarkozy sera candidat, Alain Juppé estime que le Président "a des chances de gagner, mais ce n’est pas du trois contre un". Traduire : ce sera dur. "Il faut qu’on accroche nos ceintures, qu’on évite les voix discordantes et qu’on se rassemble tous", prévient Juppé le sage. "Comme Dominique [de Villepin], je pense que le Président peut être réélu." Pour cela, Juppé œuvre au "rassemblement" des fortes têtes. À commencer par Dominique de Villepin, qu’il essaie de faire revenir. "On lui a proposé la circonscription d’Amérique mais il veut le monde", soupire le chiraquien. Il échange aussi régulièrement avec son "ami" François Bayrou. Et voudrait revoir Jean-Louis Borloo : "Il peut apporter quelque chose."
S’il refuse d’être le directeur de campagne, le maire de Bordeaux entend donner de la voix l’an prochain. "Pour la campagne, Juppé choisira sa place. Elle sera centrale", affirme un des conseillers du Président. Devenu le meilleur bouclier de Sarkozy, Juppé espère-t-il retourner à Matignon en 2012? "Joker", réplique l’intéressé. Nicolas Sarkozy l’aurait en tout cas confié, selon nos informations, à François Fillon lors d’un tête-à-tête à la fin de l’été. "Tu n’as pas besoin de t’excuser, je n’ai jamais imaginé rester ici après 2012", aurai répondu Fillon au Président. Juppé à Matignon? Beaucoup y croient dans la majorité. Un des quadras du gouvernement imagine l’après-2012 : "S’il est Premier ministre, tous les garnements seront sous son autorité et Juppé pourra leur taper dessus. Sarkozy sera tranquille au moins au début du quinquennat."
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