lundi 4 juin 2012

Les couleuvres de la place Vendôme

Mardi 15 mai, il était à la cérémonie d’investiture à l’Élysée, tout sourire. Le lendemain, il a attendu auprès de son téléphone le coup de fil du Président. Puis il a découvert la liste du gouvernement. Sans lui. Jeudi matin, il s’est envolé pour Bizerte. Bertrand Delanoë n’est rentré de Tunisie que le week-end dernier. Avec une nouvelle cicatrice politique, même s’ils’en défend mordicus. "On ne luia rien proposé et il n’a rien refusé", s’époumone son porte-parole. Pourtant, selon nos sources, faute d’avoir eu le ministère des Affaires étrangères, le maire de Paris a tenu la corde pour le ministère de la Justice. "Évidemment, c’est dur pour lui et il a disparu pendant dix jours. Maintenant, Bertrand préfère faire comme si…", explique un élu de la capitale.
"On sait que la politique est un monde cruel, mais tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne sait pas ce que cela veut dire", a confié à ses proches André Vallini, lui aussi potentiel garde des Sceaux. Ce sénateur de l’Isère a de quoi être déçu. Fidèle de François Hollande depuis les premières heures de sa candidature, en janvier 2009, spécialiste des questions de justice depuis quinze ans au PS, il s’y était préparé. "François lui avait demandé à plusieurs reprises de se tenir prêt. Robert Badinter, depuis des mois, lui disait qu’il ne lui voyait aucun rival. Ce n’est le jour de l’investiture qu’il lui a dit : 'Attention à la possibilité d’une femme'", raconte un proche. Le mercredi, André Vallini, lui aussi, a attendu des heures à côté de son portable rechargé. Ce n’est que vers 17 heures que Jean-Marc Ayrault le préviendra des "conséquences du refus de Martine Aubry de rentrer dans le gouvernement" et de la "nécessité de promouvoir une femme à un ministère régalien" avant de lui annoncer la nomination de Christiane Taubira. "Delanoë aussi voulait la Justice", l’a réconforté comme il a pu Jean-Marc Ayrault. Moins de deux heures avant l’annonce officielle, sur le perron de l’Élysée, Vallini a reçu un coup de massue que les textos de réconfort du Président n’ont guère apaisé. Trois semaines après, il refuse encore d’évoquer le sujet. Mais la "couleuvre à avaler est douloureuse, admet un de ses amis. À la déception violente des premiers jours succède aujourd’hui la frustration de ne pas agir."

Un cabinet difficile à constituer

Héritant donc du poste dans les dernières heures, Christiane Taubira a dû improviser. Le partage des compétences avec sa ministre déléguée, Delphine Batho, n’a pas été simple. Après avoir sollicité de s’occuper de l’administration pénitentiaire et de la Protection judiciaire de la jeunesse, Batho, dont un premier directeur de cabinet a été recalé, devra se contenter d’une portion congrue, l’exécution des peines et l’accès au droit. Autre signe des difficultés, la constitution du cabinet de la garde des Sceaux, pas encore totalement bouclé cette semaine. "C’est difficile de respecter la limite de 15 membres, voulue par Matignon, alors que le précédent garde des Sceaux avait 22 personnes à son cabinet et que Christiane Taubira a fait venir cinq collaborateurs politiques autour d’elle", décode un bon connaisseur des lieux. Parmi ces proches, Jean-François Boutet, intime de la ministre, avocat au Conseil d’État et associé de Frédéric Thiriez, fait déjà grincer quelques dents. "Des réglages normaux", dit-on, en ces périodes de changement…

"Compenser son inexpérience judiciaire par son sens politique"

En attendant, Christiane Taubira est déjà sur le pont: mardi dernier, devant la commission justice du PS, mais en l’absence de Vallini, elle lui a rendu hommage ainsi qu’aux spécialistes du parti, qui planchent depuis des mois sur le sujet. "Elle a remercié tous ceux qui ont préparé les réformes et a reconnu qu’elle-même ne connaissait pas grand-chose aux affaires de justice, confie un participant… C’était assez émouvant." La nouvelle garde des Sceaux s’est aussi excusée d’avoir annoncé un peu vite la suppression des tribunaux pour mineurs. "Cette réforme se mettra en place dans un ensemble plus global", corrige un des spécialistes justice du PS. "Elle compensera son inexpérience judiciaire par son grand sens politique", se persuade un autre. D’ailleurs, mardi soir, la salle l’a sentie comme "stimulée" par les attaques de l’UMP dont elle est la cible : "C’est une battante, ce qui ne la tue pas la renforcera" ,glisse un magistrat.
Samedi matin, la garde des Sceaux a été ovationnée debout, au Palais de justice de Paris, par des juges pour enfants. "Nous avons ressenti l’injustice, la brutalité, la violence des attaques qui vous ont été réservées ces dernières années", leur a-t-elle lancé. Un frisson a parcouru la salle remplie de magistrats. La nouvelle garde desSceaux apprend vite…

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