Les bouleversements d'emploi du temps sont une
constante de la vie présidentielle. En cela, François
Hollande ne se distingue pas de son prédécesseur Nicolas Sarkozy.
Mais ces lignes biffées et réécrites sur l'agenda du chef de l'Etat peuvent être
révélatrices. En témoigne la visite faite mardi dernier par le chef de l'Etat à
la maison médicale Notre-Dame-du-Lac, à Rueil-Malmaison - une institution gérée
par les Diaconesses de Reuilly, communauté religieuse protestante, et
spécialisée dans la médecine palliative et l'accompagnement des patients en fin
de vie. C'est là que le chef de l'Etat, entouré de Marisol Touraine, ministre
des Affaires sociales, et de Michèle Delaunay, déléguée aux Personnes âgées et à
l'autonomie, a officiellement chargé le professeur Didier Sicard d'une mission
sur la fin de vie pour "les cas exceptionnels".
C'était, pour François Hollande, la
concrétisation d'un engagement de campagne. Mais le choix des mots, tout comme
le choix de l'endroit, soulignent surtout le malaise d'un président engagé sur
un terrain qu'il sait miné. A aucun moment, il n'a prononcé le mot "euthanasie". Il ne
s'est pas davantage engagé dans la voie d'une légalisation de l'aide aux
patients incurables à mourir, réclamée depuis des années par certaines
associations comme l'ADMD, l'Association pour le droit de mourir dans la
dignité. Et c'est depuis un service de soins palliatifs qu'il a annoncé la
création d'une mission de réflexion.
Des positions tranchées
Mais le débat ultra-sensible sur la fin de vie oppose trop
souvent de manière radicale les tenants d'une légalisation de l'euthanasie, et ceux qui réclament plus de moyens
d'accompagnement - ces derniers étant souvent marqués par un engagement fort
dans le domaine religieux. Et en la matière, les positions de l'Eglise
catholique sont sans ambigüité : toute mort volontairement donnée est moralement
inacceptable, même s'il s'agit d'abréger les souffrances de patients condamnés.
En acceptant de se risquer sur le terrain de la fin de vie, tout en rappelant
les avancées de la loi
Leonetti... mais sans aller plus loin, le chef de l'Etat risquait
de susciter les critiques d'associations comme l'ADMD. Mais impossible de lancer
une mission de réflexion sur un tel thème en occultant purement et simplement
l'aspect religieux. Alors, à qui en confier les rênes ?
Dans un tel débat, Didier Sicard pouvait sembler une
personnalité incontestable. Médecin et ancien président du Comité consultatif
national d'éthique, il est aussi et surtout une personnalité respectée du milieu
protestant. Quant au lieu choisi pour cette annonce, il a, lui aussi, fait
l'objet de subtils arbitrages. Spécialisée dans l'accompagnement des patients en
fin de vie, la maison médicale Notre-Dame-du-Lac est, elle aussi, liée au monde
protestant. François Hollande, qui, lors de sa
visite, a insisté sur son respect des "consciences et des voix venues notamment
des autorités spirituelles", a reçu le même jour, dans l'après-midi, Mgr André
Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de
France. Voulait-il, en choisissant un tel lieu pour son annonce, marquer sa
volonté d'associer toutes ces "autorités spirituelles" à une telle réflexion ?
Ou fallait-il voir dans ce choix un souci de se démarquer quelque peu des
institutions catholiques ?
Après l'annonce...
Mais - conséquence, précisément, de ces subtils arbitrages - le
rendez-vous avait été arrêté au tout dernier moment. Il avait même été ajouté si
tardivement dans la liste des déplacements du chef de l'Etat que les Diaconesses
de Reuilly, qui ne disposent pas de leur propre service de presse et s'en
remettent, pour cela, à la Fédération de l'Entraide Protestante, n'avaient pas
pu communiquer à ce sujet. Quant aux journalistes présents sur place lors de la
déclaration présidentielle, cet aspect leur a totalement échappé. Accueillis par
des membres d'une communauté religieuse dans une institution portant le nom en
apparence si catholique de "Notre-Dame-du-Lac", les références au protestantisme
leur sont restées inaperçues. Il est vrai que les Diaconesses font figure
d'exception dans un monde protestant où les ordres religieux sont rarissimes.
Même Jean-Luc Romero, président de l'Association pour le droit de mourir dans la
dignité (ADMD), a dénoncé le choix de Didier Sicard pour mener la mission sur la
fin de vie en se référant à "la puissance du lobby catholique" et en le
qualifiant de "proche de la théologie morale catholique".
Si François Hollande cherchait à
rester au-dessus de la mêlée, et à éviter d'être vu comme plus proche d'un camp
ou de l'autre dans le très délicat débat sur la fin de vie, c'est raté. Et
l'incident révèle en tout cas que, si les changements d'agenda constituent le
quotidien des chefs de l'Etat, l'efficacité à les gérer peut varier d'une équipe
présidentielle à l'autre.
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