dimanche 24 avril 2011

"Les politiques, c’est tout pour les gros, rien pour les petits"

Elle vient de se mettre à chercher du travail… sans espoir d’en trouver. à 57 ans, Danielle sait bien qu’elle est trop âgée pour être embauchée. Coquette, avec ses lunettes de marque et son bel imper noir, elle a bossé trente-neuf ans dans cette usine Renault de Sandouville (Seine-Maritime). Puis elle est partie avec le plan Renault Volontariat: trois ans de chômage et la retraite à 60 ans, c’était ce qu’on lui avait promis. Mais cet automne, l’âge légal a été repoussé et Danielle se retrouve sur le carreau: "C’est foutu, j’aurai un an sans revenu. Plus droit au chômage et pas droit à la retraite. Je suis écœurée par Sarkozy, c’est lui qui me met au gratin."
Danielle est venue témoigner mardi 12 avril lors d’une conférence de presse de la CGT où elle a retrouvé ses copains de la chaîne. Elle n’est pas une "rouge" et elle est d’autant plus déçue par le Président qu’elle avait voté pour lui en 2007. "Sarkozy voulait remettre les gens au boulot, je suis dégoûtée quand je vois des jeunes feignants. Il parlait bien, c’était un homme à poigne. Et puis, il y avait l’insécurité…"
La coquette rousse n’en est pas victime mais elle s’inquiète: "Je lis le journal le matin, je regarde la télé." Du coup, elle votera Marine Le Pen en 2012. Elle le raconte, sans honte, dans le local de la CGT: "Marine Le Pen est très bien, j’ai déjà voté pour son père. Je veux la sécurité et qu’on bloque les frontières pour empêcher les Noirs et les Arabes de venir. Je n’étais pas raciste mais je le deviens. Je ne la connais pas Marine Le Pen mais pour mon cas, je suis sûr qu’elle dirait: 'C’est pas normal de vous remettre au boulot'."

"La gauche et la droite, ils ont fait quoi depuis trente ans?"

Danielle vient de quitter l’usine, ce fleuron de Renault qu’elle ne reconnaissait plus. "Quand j’y suis entrée, en 1972, c’était une petite famille. Le quart du matin, c’était dur, j’avais mes gamins, la maison, mais les gars étaient solidaires. Les cinq dernières années, l’ambiance était pourrie, les jeunes nous parlaient mal, un ingénieur m’a dit: 'Occupe-toi de ton cul' quand je lui ai fait remarquer qu’il y avait un défaut sur une voiture."
C’était mieux avant, à Sandouville comme ailleurs. "La période où j’ai le mieux vécu c’était sous Giscard, il y avait du travail", souffle Gilbert, trente-cinq ans d’usine dans les jambes. Le barbu à l’air triste devra, comme Danielle, passer un an sans revenu. Lui a choisi de faire de la danse-country pour "se changer les idées".
Ces ouvriers n’ont plus le losange à la place du cœur, ils ont perdu la fierté d’être des "Renault". Nicolas Guermonprez est secrétaire général de la CGT. À 32 ans, pull noir à capuche sous sa blouse grise, il a déjà passé dix ans chez le constructeur automobile. "Quand je suis entré, j’étais assuré d’avoir un emploi jusqu’à ma retraite. Ma plus grosse déception, c’est le gâchis. C’était un village, cette usine. Puis on a eu des suicides, des pétages de plombs. Au début, si on faisait une blague sur Renault, ça passait pas, maintenant ça change."
Et pas seulement depuis la fausse affaire d’espionnage. Dans cette usine haut de gamme de Renault, on fabriquait les Laguna, les Vel Satis. Plus maintenant. "Ici, on a toujours produit les voitures du Festival de Cannes. Cette année, pour la première fois, les stars arriveront dans des Renault fabriquées loin de France. Les politiques se foutent de nous, on a l’impression d’être au bord de la route." Le 6 octobre 2008, Nicolas Sarkozy est venu à Sandouville pour les rassurer, sur le thème: "L’usine ne fermera pas. Et en plus des véhicules de prestige, vous fabriquerez des véhicules utilitaires." Une promesse non tenue pour le cégétiste: "À l’époque, on était 4.500, aujourd’hui on est 2.450. L’utilitaire devait être la cerise sur le gâteau, et là, on n’a plus que la cerise. Ce qu’on peut attendre d’un bon président de la République, c’est qu’il tienne parole, estime Nicolas Guermonprez. Croyez-moi, il y en a un qui n’aura pas beaucoup de voix des ouvriers de Sandouville!"

"Ce qu'elle dit sur les ouvriers, ça rejoint ma façon de penser"

Les délocalisations, ils les subissent et s’en plaignent. "Tout ça, c’est à cause de la mondialisation", accuse Jacques entré en septembre 1968. Alors forcément, DSK n’est pas très populaire: "Je l’appelle Strausskozy. Il n’est pas de gauche, il est en plein dans le système de la mondialisation, il va pas nous ramener de boulot ici", poursuit un autre. "Il est lointain, c’est un énarque déconnecté, il fait partie des princes de la politique en décalage complet", pour Florian, 50 ans, dont trente à l’usine. Seul Patrice Deuve veut croire en lui: "DSK, c’est ce qui correspondrait le plus à la France. C’est un centriste", témoigne celui qui a commencé à la chaîne, il y a trente-neuf ans. En même temps, il ajoute: "Marine Le Pen n’a pas toujours tort sur l’insécurité, l’immigration et tout ce qui s’ensuit mais elle est quand même extrême."
Fabien, visage poupon et dur à la fois, 38 ans, entré chez Renault en 1999, est un pilier de FO. Il s’exprime à titre personnel: "Je suis de gauche, je ne suis pas partisan du FN, écrivez-le. Mais la gauche et la droite, ils font quoi depuis trente ans? Marine Le Pen est maligne. Elle parle d’économie, elle a fait des études, elle n’est pas allée dans les tranchées comme son père. En 2017 ou 2022, il faudra faire attention, le FN sera un parti qui potentiellement prendra les commandes de l’État, même s’il ne résoudra rien."
Sartre ne voulait pas désespérer Billancourt; les politiques, aujourd’hui, désespèrent Sandouville. "Tout augmente, les pâtes, le pain, le riz. Ça devient compliqué même avec quatorze ans de Renault de finir le mois. Beaucoup d’ouvriers ont voté Sarkozy pour le pouvoir d’achat, mais ça n’a jamais été pire", balance Alain, un "rouge" de 43 ans.
Tatouage sur l’épaule qu’on devine sous son blouson, petits anneaux aux deux oreilles, Olivier vote mais n’attend rien de la prochaine présidentielle. "Les politiques, c’est tous les mêmes, tout pour les gros, rien pour les petits. Ils n’en ont rien à branler des jeunes, il n’y a que l’argent, les bénéfices. Que ce soit Pierre, Paul ou Jacques, ils s’en foutent tous." Du haut de ses 28 ans, il a déjà dix ans d’ancienneté chez Renault. Huit ici et deux au Technocentre de Guyancourt, quand il en a eu marre du chômage technique de Sandouville. Olivier était en grève le 6 octobre 2008, lorsque Nicolas Sarkozy s’est rendu à Sandouville. "Je lui en veux de nous avoir balancé ses CRS. Il disait 'la France qui se lève tôt', mais c’est pas lui qui se lève à 5 heures du mat’."
La seule qui trouve grâce aux yeux d’Olivier est Marine Le Pen: "Elle doit être mieux que son père et plus franche que Sarko." Il votera pour elle en 2012: "Ce qu’elle dit sur les ouvriers, ça rejoint ma façon de penser. Son père était plus axé sur les étrangers. Elle, elle fait du social pour tout le monde, Noir, Blanc, beur, tous pareils. Des collègues m’en parlent, je suis sûr qu’ils voteront pour elle.

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