"Oui, c’est important, lâche Alexandre (*), d’un ton peu convaincu. Enfin, ça ne va pas changer ma vie. J’irai voter pour contrer les extrêmes. Mais je me concentre d’abord sur moi". "C’est clair, c’est pas la Coupe du monde non plus", lance un autre avant de replonger le nez dans son expresso. Éric, grand gaillard en blouson de cuir, explique : "Moi, je vote jamais pour les gros partis. Je choisis souvent les Verts. Mais pas au deuxième tour, je ne veux pas qu’ils gagnent non plus". Un dernier comparse résume le sentiment général : "Les politiques vivent dans un autre monde. Ça ne me donne pas envie de m’impliquer".
"Ils viennent des mêmes écoles, des mêmes milieux"
L’échange reflète l’ensemble des témoignages recueillis sur le campus de l’IUT. Manque d’intérêt, faible culture politique, sentiment que les deux grands partis se valent et qu’ils ne peuvent rien changer : des éléments invariants chez ces étudiants des filières professionnelles et scientifiques, traditionnellement moins politisés que leurs camarades de sciences humaines. Si la plupart sont bien informés – "Moi, c’est LCI tous les matins", assure l’un – la politique est pour eux un bruit de fond parmi d’autres : "On a l’impression d’être tout le temps en campagne, regrette Jeanne, future professeure d’EPS. Et les médias ne parlent que du négatif ou de l’accessoire".
Nul n’échappe à ce désaveu. Ni Nicolas Sarkozy, qui est spontanément associé à d’impopulaires mesures sur la sécurité et l’immigration, ni le PS, qui est raillé pour ses "divisions ridicules". Dominique Strauss-Kahn ? "On verra quand il reviendra". Martine Aubry ? "Bof…" François Hollande ? "Qui ça ?" Quant à l’extrême gauche, elle ne fait pas plus recette. Seule opinion tranchée : un rejet unanime du FN. Baptiste émet toutefois un bémol : "Pourquoi le présenter comme un pestiféré alors qu’il participe à toutes les élections, comme les autres ? Cette position le sert beaucoup !"
Débarqués à la station de tram toute proche, quatre étudiants en informatique égrènent leurs griefs : "Les politiques viennent des mêmes écoles, des mêmes milieux, s’enflamme François. Ce sont des carriéristes qui ont juste choisi la bonne écurie". Son ami Paul prend le relais : "Ils veulent réguler des choses qu’ils ne connaissent pas. Ça donne des lois liberticides, comme Hadopi ou la Loppsi [loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure]". Mais, à l’instar de nombre de leurs camarades, les quatre amis sont plus gênés lorsqu’on leur demande à quoi devrait ressembler la politique : "Pas d’excès, pas d’abus, finit par lâcher l’un d’eux. Pas de lois à deux vitesses". Révolutionnaire, la jeunesse ? Celle-là est très raisonnable. Ou sans aucune illusion.
"Le FN pourrait réveiller les Français"
Autre ambiance, à quelques stations de tram de là, sur le campus principal qui accueille les facultés de sciences humaines. Dans un hall, deux militantes du syndicat étudiant FSE (extrême gauche) proposent thé et café "à prix libre". Ici, il ne faut pas longtemps pour engager une discussion politique : "Les gens sont des moutons, ils se plaignent mais n’agissent pas", lance Noémie, qui votera NPA en 2012. "L’IUT, c’est mort, explique encore la jeune fille. Les jeunes y sont centrés sur leurs études. D’ailleurs, avec, au niveau national, 50% d’étudiants obligés de travailler pour financer leurs études, ce n’est pas étonnant d’observer un certain désengagement".
Sophie est de ceux-là. Assise à la terrasse de la cafétéria, où elle travaille à mi-temps pour payer son loyer, la jeune fille se présente comme une "révoltée de la société française". "Les jeunes sont la bête noire de tout le monde, attaque-t-elle. On aide les gens qui ne travaillent pas, ainsi que des flux énormes d’étrangers qui, en plus, se plaignent ensuite. Alors qu’une de mes amies n’a aucun revenu, et que les APL ne lui permettent de payer que la moitié de son loyer. Et si on oublie son ticket de tram à 1,20 euro, c’est 37 euros d’amende !" Une camarade acquiesce : "Les politiciens devraient avoir peur du peuple, et c’est l’inverse qui se produit". Du coup, Sophie ne voit pas d’un mauvais œil la montée de Marine Le Pen : "Ça pourrait réveiller les Français. Mais tout de même, elle est extrême, j’ai peur qu’elle en fasse trop".
Assises sur des marches non loin de là, Hélène, Claire et Lucie révisent un examen : "On passe le concours de professeur des écoles en 2013. Une partie de notre avenir se jouera en 2012 et la politique qui en sortira. Le PS est ce qui pourrait arriver de mieux. Mais on votera plus par rejet que par adhésion". Leur personnalité politique idéale ? "Quelqu’un de proche des gens, pas un membre de l’élite sociale, bien entouré par des chercheurs et des experts. Surtout quelqu’un de sérieux, qui ne joue pas aux chaises musicales ministérielles en passant de la santé au sport". Une recommandation fait l’unanimité : "Qu’ils arrêtent de se disputer entre eux ! Assez de petites phrases et de course au pouvoir ! Ils devraient tous se mettre autour d’une table et discuter".
(*) À l’exception de celui de Noémie, membre de la FSE, tous les prénoms ont été modifiés.
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