mercredi 29 juin 2011

Lettre à Martine Aubry Par Christophe Barbier,

"Depuis vingt ans, le PS semble s'efforcer de perdre à la présidentielle. Briserez-vous la malédiction?" interroge Christophe Barbier.

C'est une bien grande ambition que de vouloir devenir présidente de la République. Et si l'on ne considère pas cela comme une ambition, mais comme un dévouement suprême, il faut des qualités bien supérieures encore, et une abnégation qui confine au sacrifice. Entre Le destin ou la vie, comme Isabelle Giordano a joliment titré votre biographie (Grasset), il s'agit de choisir le destin, sans orgueil, et de renoncer aux insouciances de la vie, sans indifférence à celle des simples citoyens.
Avec l'élection présidentielle, au contraire des Jeux olympiques, l'essentiel n'est pas de participer. Et, à la différence des autres mandats électoraux, l'essentiel n'est pas, non plus, de gagner. Une seule chose compte: réussir après avoir été élu. Réussir à transformer la France aussi vite que bouge le monde, réussir à briser les archaïsmes sans déchirer la paix sociale, réussir à vaincre le chômage et à maintenir le pays à la proue de l'Histoire. Parce qu'il pensa ne pas être en mesure d'accomplir cette mission, votre père, Jacques Delors, renonça... La volonté ne suffit pas, ni la maîtrise des dossiers: une foi républicaine hors normes est nécessaire, et un peu de cette chance qui est la dorure des grandes destinées.
Pour représenter la gauche de gouvernement, il vous faut d'autres talents encore. D'abord, résoudre la terrible équation de la primaire socialiste, c'est-à-dire l'emporter, bien sûr, mais aussi éviter que le parti ne se cabosse pendant et que les perdants ne se vengent après. Depuis vingt ans, le PS semble s'efforcer de perdre, et cette primaire le prouve encore. Elle nie la simplicité: il fallait choisir dès après la défaite de 2007, en un congrès refondateur, le meilleur chef pour s'opposer d'abord et proposer ensuite. Elle nie la modernité: refuser le vote par Internet, c'est être ringard et surtout méprisant envers les jeunes. Niera-t-elle demain l'unité, avec la moitié du parti vexée et impatiente de voir l'autre battue par Nicolas Sarkozy?

Si vous êtes la candidate officielle du PS, vous devrez vaincre une autre malédiction socialiste: celle de la "privatisation" de l'échec. Lionel Jospin paya en 2002 le prix du mensonge sur sa jeunesse trotskiste; Ségolène Royal versa en 2007 la rançon d'une vie privée qui fâcha la candidate qu'elle était avec le chef du parti qu'était son futur ex-compagnon, François Hollande; enfin, Dominique Strauss-Kahn s'est embourbé dans une ubris intime dont la justice américaine fixera la facture, mais dont vous acquitterez d'imprévisibles intérêts dans les urnes. Du prétendant socialiste, les Français attendent désormais, il est vrai, une perfection éthique supérieure à celle exigée de la droite ou des extrêmes.
Enfin, il vous faudra incarner une gauche qui ne confond pas l'espoir avec l'illusion, la promesse avec la démagogie, l'égalité avec le nivellement, la justice avec le laxisme, le social avec la gabegie. Une gauche qui n'embauche pas des fonctionnaires par clientélisme, mais les met tous au service des citoyens. Une gauche qui demande des efforts par équité, plutôt que de promettre des droits par facilité. Tout ceci ne compose pas une gauche de droite, mais une gauche lucide, honnête et courageuse. Trois qualités que l'on trouve à de nombreux moments de votre parcours personnel et politique, mais dans bien peu de chapitres du projet socialiste. Avant d'être plus forte que votre adversaire, saurez-vous être supérieure à votre parti ?
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/lettre-a-martine-aubry_1007243.html

Aucun commentaire: